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CC le Monde.fr

Mais alors je suis content ou pas ? Je devrais : le PSG vient d’être sacré champion de France, et c’est le club de mon cœur – ce n’est pas de ma faute, je suis né à Paris, je n’y peux rien. La réponse devrait aller de soi. Comment pourrais-je ne pas me réjouir d’un quatrième titre d’affilée pour mon équipe, après les souffrances endurées lorsqu’elle était au fond du seau ?

Tant d’années passées à me brûler les yeux devant des matchs littéralement nuls, à traverser Paris en métro pour assister à des 0-0 glaciaux au Parc des Princes ou chez le copain abonné à Canal+, à subir les moqueries des supporteurs deMarseille ou de Lyon à chaque déconvenue.

Je n’ai pas dormi de la nuit quand le PSG a perdu (2-0) la finale de la Coupe de la Ligue contre Gueugnon, équipe de D2, en l’an 2000. En 2001, je suis resté enfermé chez moi pendant vingt-quatre heures après la défaite 4-3 à La Corogne enLigue des champions, alors que Paris menait 3-0 à une demi-heure de la fin. J’ai cru mourir d’asphyxie un soir de mai 2008 où le club avait sauvé sa place en Ligue 1 grâce à un improbable doublé d’Amara Diané, à Sochaux, lors de l’ultime journée. Amara Diané…

Combien de fois, avec mes compagnons supporteurs de galère, avons-nous énuméré notre panthéon des pieds carrés ayant porté les couleurs parisiennes ? Apoula Edel, Albert Baning, Sammy Traoré, Talal El-Karkouri, Everton, Souza… Ces patronymes nous font marrer à présent. A l’époque, ils nous ont plongés dans des abîmes de détresse.

LE CATOGAN DE ZLATAN OU LA QUEUE-DE-CHEVAL DE MADAR ?

Alors aujourd’hui, comment ne pas me réjouir des passes millimétrées d’Angel Di Maria, après avoir vu Igor Yanovski envoyer des ouvertures dans le zig quand l’attaquant faisait l’appel dans le zag ? Comment ne pas me réjouir des centres de Maxwell entre les 6 mètres et le point de penalty après avoir subi ceux de Bernard Mendy au troisième poteau ? Comment ne pas me réjouir d’entendre que le club hésite entre Cristiano Ronaldo et Neymar comme recrue pour la saison prochaine, alors qu’il fut un temps où nos trouvailles estivales s’appelaient Stéphane Pichot ou Lionel Potillon ?

Entre le catogan de Zlatan Ibrahimovic et la queue-de-cheval de Mickaël Madar, il ne devrait pas y avoir photo. Oui, après tant d’outrages subis par amour de ce maillot qui flotte désormais sur l’Hexagone, je devrais me réjouir de la fin des années sombres. Et pourtant.

J’ai beau savoir que la chose sportive relève de l’irrationnel et nécessite souvent d’éviter de réfléchir, cette fois, la raison me rattrape. Impossible de ne pas le constater : les limites de l’absurde ont été franchies.

Comment se réjouir d’un titre de champion de France quand le seul suspense de la saison consistait à savoir si Paris le décrocherait avant ou après le début du printemps ? Il y a autant d’écart entre le champion et le second (25 points), qu’entre le second et l’avant-dernier du classement (26). C’est complètement débile.

Record de points, record d’avance sur le dauphin, record de précocité… Au-dessus de tous ces records se trouve celui qui les rend possible : le record de millions engagés dans l’affaire. Le budget du PSG s’élève à 490 millions d’euros. Son premier poursuivant, Monaco, en est à 250. Lyon, troisième, 170. Comment se réjouir de voir le PSG exécuter au bazooka des adversaires qui se battent avec des cailloux, et démolir la moitié de la Ligue 1 en marchant ? Voilà près de quatre siècles qu’on sait qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

ALLEZ LYON ! ALLEZ MARSEILLE !

Je veux bien saluer la prouesse entrepreneuriale des patrons qataris que constitue la mise sur pied, en si peu de temps, d’une équipe si forte. Mais m’enflammer parce que le PSG, 490 millions d’euros de budget cette saison, a flanqué un 9-0 à Troyes, 23 millions d’euros de budget, cela ne relèverait plus de l’amour du maillot, mais de la bêtise.

Les Qataris ont accompli une autre prouesse : transformer les supporters parisiens en partisans de l’horripilant Jean-Michel Aulas, dont on espère que le projet qu’il mène avec l’Olympique lyonnais accouchera un jour d’une équipe à même derivaliser avec la nôtre. Puisque le football fonctionne désormais ainsi, je lance par ailleurs un appel aux milliardaires de la planète qui ne savent pas quoi faire de leur argent, et les invite à racheter l’Olympique de Marseille pour en refaire une équipe compétitive. Merci.

Mon rêve de journaliste sportif le plus fou serait d’entendre Frédéric Thiriez, une fois qu’il aura quitté la présidence de la Ligue de football professionnel à la fin de l’année, et qu’il n’aura donc plus besoin de vendre sa camelote aux télévisions,reconnaître que ce championnat qu’il a défendu pendant quatorze ans ne présente plus le moindre intérêt. Combien de titres consécutifs pour Paris et de saisons de L 1 sans saveur faudra-t-il pour que cette évidence s’impose ?

Reste la Ligue des champions, qui permet à la moitié de mon être encore sensible au PSG de s’en donner à cœur joie, puisque le club se bat à armes à peu près égales avec ses homologues européens. Curieusement, il est plus réjouissant de voir la dream team parisienne faire des misères au Chelsea du richissime Roman Abramovitch que de la voir martyriser d’honnêtes footballeurs troyens qui n’ont fait de mal à personne.

CLAQUAGE MENTAL

Alors mercredi dernier, pour le deuxième match intéressant de la saison (le premier étant le match aller, n’est-ce pas), je me suis retrouvé à hurler de joie avec mes compères après le but du 2-1 face à Chelsea, signé Zlatan Ibrahimovic. Celui-là même qui, 24 heures plus tôt, nous avait plus ou moins craché à la figure, en expliquant : « Avec tout le respect que j’ai pour son passé, le PSG est né le jour où les Qataris sont arrivés. » Un bien bel hommage aux Fernandez, Lama, Weah, Ginola, Rai, Ronaldinho et autres Pauleta, ces joueurs qui ont fait rugir le Parc à l’époque où ce stade abritait la plus belle ambiance de France et où Germain le lynx, pathétique mascotte, n’existait pas.

Cela faisait quatre ans que le claquage mental guettait, il est en train de se produire avec violence : j’ai le cerveau qui se déchire en deux. Ce club est insupportable. Et c’est impossible de ne plus le supporter. Quelle tristesse. Quel plaisir. Paris est magique. Paris est devenu un club en plastique.

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